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Edito72

Il y a 3 ans, nous vous parlions du rachat de l"ancien cinéma Pathé Palace (1) par la Communauté française, au terme d"une querelle juridique l"opposant au gouvernement flamand. Malgré qu"elle possédait depuis 20 ans une salle à l"abandon dans le centre-ville (le "Variétés"), la Communauté acquérait cette bâtisse, récemment réaménagée en cinéma, pour y installer provisoirementŠ le Théâtre National. Aujourd"hui, le nouveau bâtiment du National est sorti de terre. A deux pas de là, l"ancien "Variétés" sert de baraque de chantier en attendant d"être revendu, probablement à un hôtelŠ
Quant au Palace, libéré de son affectation théâtrale, il fera bientôt place à un nouveau complexe de cinéma. Mais force est de constater que son attribution à un nouvel exploitant a fait plus de bruit que l"appel d"offres et la procédure qui l"ont précédéŠ
Au terme d"une sélection où chaque candidat a souligné le caractère novateur, indépendant, international et transversal de son projet, la Communauté a confié la gestion du Palace à un "consortium" reposant principalement sur l"une des principales société de distribution de films, notamment "Art & Essai". Celle-ci déclare que, grâce à elle, les écrans bruxellois vont enfin s"ouvrir à des films "qu"on ne voit nulle part ailleurs"Š
Aussi enthousiasmante qu"elle puisse paraître, cette profession de foi laisse d"abord un goût amer à ceux dont le travail s"y apparente depuis des années sans bénéficier de soutiens suffisants ; ceux qui n"ont pas été consultés dans ce dossier et dont l"existence semble ne pas même être considéréeŠ
Le choix de ce projet, auquel se sont joints les frères Dardenne, n"a rien d"étonnant. Ce qui l"est plus, c"est l"absence de concertation qui a accompagné la procédure et ce, alors que les difficultés de survie éprouvées par les salles indépendantes ne sont ignorées de personneŠ
Il y a quelques mois, le Ministre de l"Audiovisuel lui-même disait tenir "la solution" pour ces salles : les refinancer et les inciter à se constituer en réseau (2). La presse en fit grand cas mais, à quelques semaines des élections du 13 juin, les promesses de refinancement ne sont toujours pas garanties et le "réseau" des salles bruxelloises semble ne plus être qu"un vague et lointain souvenir. Et malgré les assertions de ceux qui présentent le nouveau Palace comme un "pôle fédérateur" des salles "Art & Essai" bruxelloises, on voit mal comment cette promesse pourrait être tenue en l"absence de débat public et sans prendre en compte le point de vue des principaux acteurs concernés.
Mais il semble que les préoccupations politiques du moment soient ailleursŠ Pour la Communauté française, la satisfaction se borne sans doute à bénéficier d"une nouvelle vitrine de sa production cinématographique. D"autres, comme le journal "Le Soir" (3), voient dans le Palace "une réponse à Romano Prodi". En clair : une dimension culturelle internationale qui manque à la capitale de l"Europe, comme s"en est lamenté publiquement le président de la Commission européenne (4).

En 2001, Romano Prodi et Guy Verhofstadt avaient réunit un "groupe des sages" (5) dont le rôle, plus médiatique que scientifique, devait consister à redéfinir le rôle de la capitale de l"Europe. Mais les "sages" se sont contentés de définir deux axes pour penser l"accueil de l"Europe à Bruxelles : le "soft" et le "hard". Un peu comme s"il s"était agit de classifier des films obscènesŠ
Le "hard", on le connaît bien. Il est constitué de tous les bâtiments et autres conséquences immobilières ou sociales, liés à la présence des institutions européennes. Ce "hard", personne ne conteste qu"il s"agit d"un désastre urbanistique pour Bruxelles et d"une image catastrophique pour l"Union. Romano Prodi l’imagine donc plus "harmonieux", plus majestueux, plus symbolique ; à l"image, selon ses propos, de ce que représente le Cinquantenaire pour l"Etat belgeŠ
Le "soft", étrangement, est moins facilement définissable. Pour certains, comme Umberto Eco, il s"agit d"avoir à Bruxelles de grandes universités ou un institut des langues européennes. Pour d"autres, comme Daniel Ducarme ou le directeur de l"Opéra de la Monnaie Bernard Foccroulle, il s"agit de bâtir à coups de milliards une "grande salle" pour accueillir des événements culturels d"envergure. Et quand les institutions de Romano Prodi organisent à Bruxelles des festivités "soft", il n"y a qu"étoiles jaunes sur drapeaux bleus, "gastronomie" des nouveaux pays membres, montgolfières, autres slogans d"auto-célébration et imagerie tape-à-l"oeil.

Bref, de quoi se poser des questions sur la réelle signification de ces conceptsŠ et sur les média qui les propagent sans
discernement !

(1) "Un coûteux cocorico", Nova #46, juin 2001.

(2) Voir "Soudain l"été dernier", Nova #69, décembre 2003.

(3) Le même "Soir" qui, en 7 ans, n"a par exemple jamais accordé la faveur de ses pages "Culture" aux activités d’un lieu comme le Nova. Censées n"intéresser que les journalistes et les lecteurs des pages régionales, ces activités suscitent pourtant l"intérêt d"un public à l"étranger et même de journalistes, comme en témoignent des sujets sur Euronews, Arte, des articles dans "Le Monde diplomatique" ou encore récemment une demi-page dans "Libération" sur le programme "Free Jazz Great Black Music". Nul n"est prophète etc. etc.

(4) Aucun journaliste ne s"est étonné que la "sortie" médiatique de Romano Prodi soit survenue, très stratégiquement, quelques jours à peine avant que Guy Verhofstadt ne dévoile son "plan pour le quartier européen"Š

(5) Ce groupe réunissait des gens aussi divers que Gérard Mortier, François Schuiten, Geert Van Istendael, Umberto Eco, l"architecte Rem Koolhaas, l"actrice Agnès Jaoui, le directeur du musée Guggenheim à Bilbao, etc.



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