Réalisateur réfugié du Bengale oriental, né en 1925, Ritwik Ghatak, contemporain de Satyajit Ray et de Mrinal Sen, réalise son premier film en 1952. Il disparaît trop tôt, en 1976, alcoolique, malade, désespéré par la Partition de l"Inde en 1947. "Le cinéma n"est pas un art pour moi. C"est un moyen de servir mon peuple." La Partition, fléau pas seulement politique, mais aussi social et culturel, coupa sa terre natale en deux et cette blessure irrémédiable trace des sillons dans son ¦uvre cinématographique et théâtrale : seulement huit longs métrages, des films inachevés, des documentaires, des pièces de théâtre, des nouvelles, des essais. Ghatak est aujourd"hui une légende reconnue pour son innovation dans le propos et la mise en scène. Ceux qui l"ont connu et surtout ses étudiants du Pune National Film and Television Institute qui formaient dans les années 1970 la "nouvelle vague indienne" le vénèrent : Adoor Gopalakrishnan, John Abraham, Mani Kaul, Kumar Sahani et Ketan Mehta. Une narration de la résistance née à l"interstice du Bengale coupé en deux, caractérise le travail de ce génie précoce, inégal et caractériel. A l"interstice aussi dans sa lutte pour s"exprimer, à cheval entre le cinéma d"art et d"essai et celui empruntant les codes du cinéma populaire mélodramatique. Réfugié sur sa propre terre natale, Ghatak est obsédé par le pouvoir mythique du retour. Il pourrait s"agir d"un retour aux racines mais en fait ce qui le préoccupe est la recherche du moment de la rupture de la conscience, le moment dont le traumatisé ne sait pas comment se souvenir. Son ¦uvre ose casser la secrète alliance entre le cinéma d"art et le mélodrame populaire : la critique et le public ne saisissent pas cette écriture et il en souffrira, hors des circuits, hors des festivals, hors des salles. En 1987, préfaçant un recueil d"écrits de Ghatak, Satyajit Ray soulignait : "On ne remarque aucune influence d"écoles de cinéma dans son ¦uvre. Hollywood aurait pu ne pas exister. L"occasionnel écho du cinéma soviétique se ressent, mais cela n"empêche pas Ghatak de représenter à lui seul un mouvement cinématographique". Les Bengalis, adorateurs de mélodie, affirme Ghatak, forment un peuple épique. Peu intéressé par les intrigues narratives, le Bengali préfère qu"on lui dise et re-dise les mêmes mythes et légendes : un peuple qui s"intéresse plutôt au "pourquoi" et "comment" et non pas au "quoi". C"est l"attitude épique. C"est dans cette veine que Ghatak recherchait les rythmes du Bengale.